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GUYON

Pour Jean Guyon

l'oubli d'une apostrophe aurait pu

valoir mille arpents de terre!


En évoquant la figure du pionnier Zacharie Cloutier, nous avons signalé que lui et un autre Percheron, Jean Guyon, s'étaient engagés par un même contrat à suivre le seigneur Robert Giffard en Nouvelle-France, et que le premier avait mis fin à son association avec le colonisateur mortagnais à la suite de malentendus. Il en fut ainsi pour le second, et tout cela parce que le notaire Mathurin Roussel, qui avait rédigé l'acte, n'avait pas tenu compte d'une petite apostrophe! Nous y reviendrons.

C'est à Tourouvre que Jean Guyon vit le jour; il y fut baptisé le 18 septembre 1592. Si Robert Giffard tint à le recruter en fonction de la mise en valeur de sa seigneurie de Beauport, c'est sans doute parce qu'il maîtrisait son métier, et on ne saurait en douter puisqu'en 1615, on lui confiait, en sa qualité de maître maçon, le soin de doter l'église de son bourg natal d'un escalier d'une trentaine de marches conduisant au clocher. C'est dire que ses descendants, et ils sont nombreux si l'on tient compte de la postérité tant de ses filles que de ses fils, peuvent encore admirer de nos jours l'un de ses ouvrages dont le mortier a défié les siècles.

Dix ans plus tard, on recourait à ses services pour la restauration des murailles de Mortagne, ce qui témoigne également de la confiance dont il jouissait auprès du procureur syndic des habitants de la ville. Les fortifications étaient sans doute fort mal en point, car Mortagne avait changé 22 fois de mains pendant les guerres de Religion!

Jean Guyon était fils de Jacques et de Marie Huet. En 1615, le 2 juin, il épousait une Mortagnaise, Mathurine Robin, qui lui donna huit enfants avant de le suivre en Nouvelle-France. Quand son père décède, en 1623, il vend la maison familiale de Tourouvre et se fixe à Mortagne, prenant sa mère avec lui. Cette derni`re disparaître trois ans plus tard. Probablement grâce à un héritage, la famille s'installe dans une plus grande demeure, et la vie continue.

C'est donc le 14 mars 1634 que Jean Guyon et Zacharie Cloutier s'engagent à suivre Robert Giffard, et le seigneur promet de leur concéder des fiefs dans sa seigneurie de Beauport. Le notaire Roussel est-il distrait? Il semble que Giffard voulait donner à chacun d'eux mille arpents de terre, mais le tabellion écrivit à chacun deux mille arpents. On voit ici ce que peut signifier une pauvre petite apstrophe. Quand vint le moment pour le seigneur de respecter ses promesses, les deux pionniers reçurent respectivement les arrière-fiefs de la Cloutièrerie et du Buisson, celui-ci nommé d'après une petite rivière qui l'arrosait. Guyon devait d'ailleurs s'attribuer ce surnom à particule.

On peut s'étonner de ce que Giffard ne se soit pas rendu compte de l'erreur; peut-être ne parcourut-il pas l'acte lui-même, se contentant de l'entendre lire! En tout cas, il en résulta une contestation dont on dut parler dans les chaumières. Le gouverneur Huault de Montmagny dut intervenir et il trancha la question au bénéfice du seigneur. Les deux compères, on le devine, réagirent mal à cet décision. Ils refusèrent de prêter foi et hommage au seigneur, bien qu'ils y fussent tenus. Forcés de le faire, ils négligèrent de lui présenter l'aveu et dénombrement des fiefs, et le gouverneur dut le leur ordonner.

Arrivé au pays avec sept de ses huit enfants, le couple Guyon/Robin en eut deux autres, qui furent baptisés à Québec. Huit de ses enfants, dont six fils, devaient se marier et donner à la colonie une pléiade de rejetons. Jean, qui devait prendre le surnom de son père, jeta son dévolu sur Élisabeth Couillard (1645), la petite fille de Louis Hébert: 13 enfants. Simon épousa Louise Racine (1653), fils d'Étienne et de Marguerite Martin: six enfants. Claude se maria avec une Parisienne, Catherine Colin (1655), originaire de la même paroisse que l'épouse de Samuel de Champlain, Saint-Germain-l'Auxerrois: 12 enfants.

Denis unit sa destinée à celle d'Élisabeth Boucher (1659), fille de François et de Florence Gareman: neuf enfants. Michel, sieur de Rouvray, charpentier de navires, choisit pour compagne Geneviève Marsolet (1662), fille de Nicolas, qui était sieur de Saint-Aignant, tout d'abord interprète arrivé en 1613 avec Samuel de Champlain, puis propriétaire de plusieurs seigneuries dont celle de Bellechasse: 13 enfants. Enfin, François, qui était dit Després, s'allia lui aussi avec une Marsolet, prénommée Marie-Madeleine (1662), la soeur de Geneviève: 12 enfants. Notons que le mariage de ces deux derniers couples fut célébré le même jour, 4 septembre 1662; ils avaient signé leur contrat de mariage devant le notaire Audouart le 20 août précédent.

Les deux filles Guyon devaient relever aussi le défi des familles nombreuses. Barbe, l'aînée de la famille, avait épousé le maître coutelier Pierre Paradis, à Mortagne, en 1632; le couple avait eu sept enfants avant de passer en Nouvelle-France et il en porta quatre autres à l'église après son arrivée. Quant à sa soeur, Marie, elle choisit pour époux un solide Normand, le maçon François Bélanger, en 1637; celui-ci allait être capitaine de milice sur la côte de Beaupré et recevoir, en 1677, la seigneurie de Bonsecours (L'Islet). Le couple eut 12 enfants.

C'est dire que les huit enfants de Jean Guyon et de Mathurine Robin leur donnèrent près de 90 petits-enfants dont au moins 35 se marièrent à leur tour.

On s'étonnera peut-être de ce que le patronyme Guyon ne soit pas davantage répandu; c'est, affirment les généalogistes, que beaucoup de descendants de Jean Guyon portent maintenant le nom de Dion.

Les ancêtres Jean Guyon et Zacharie Cloutier devaient être de toutes les fêtes religieuses et populaires. Ainsi, le Journal des Jésuites nous apprend que lors de la Fête-Dieu de 1646, ils marchaient à la tête de la procession, et que, à l'occasion du mariage de Jean Guyon du Buisson, le fils aîné du pionnier, avec Élisabeth Couillard, il y eut deux violons à la noce, ce qui ne s'était pas encore vu au Canada.

C'est en 1652 que Pierre Paradis et Barbe Guyon vinrent en Nouvelle-france avec leur famille. Jean Guyon et son épouse possédaient toujours leur maison à Mortagne. En 1653, ils la cèdent à la paroisse. L'ancêtre décéda en 1663; Mathurine Robin l'avait précédé dans la tombe un ans plus tôt.